Plumes et épis Ch I – Roman fiction 1

Plumes et épis Ch I – Roman fiction 1 Chapitre I

Mesure du temps un dimanche

Makliste Dufer marche lentement dans le corridor sombre qui mène à la pièce la plus reculée de sa grande maison. La nuit cristallise à peine les étoiles, il vient de se réveiller. Dans sa main droite un sachet de noix de cajou et dans la gauche son classeur noir, il arrive à la chambre. D’une contorsion il extrait une clé de sa poche, une petite tache rouge sur le daim beige de sa chaussure droite attire son regard et le fige dans son geste une fraction de seconde. « Diable ! D’où vient cette marque sur ma chaussure, je ne suis jamais allé avec cette paire à l’extérieur pourtant ! »

Il tourne la clé dans la serrure, ouvre la porte et attend quelques secondes, le temps que la poussière déplacée par son mouvement retombe. Makliste traverse la pièce sans éclairage, il connaît par cœur les pas qu’il faut faire pour atteindre la fenêtre. Le lourd rideau de velours noir écarté, un pâle rayon de lumière traverse le verre et la poussière. Le cuir d’un canapé reluit, il s’assied dedans. Les noix de cajou sur les genoux le classeur à ses pieds, il se laisse aller à penser, ses yeux fixent le néant.

D’un bond il se lève et retourne fermer la porte à clé puis allume enfin une toute petite lampe qui n’éclaire pas vraiment.

Il regarde autour de lui comme il le fait toujours. Personne sauf lui ne sait ce qu’il y a autour, dans toutes ses boîtes sur les étagères. Il ne les voit pas totalement car l’éclairage est diffus mais il connaît leur nombre et le contenu de chacune. Avec un sentiment de satisfaction, Makliste s’installe dans son canapé et entame son sachet de noix. Tourné vers la fenêtre il voit les premiers flocons de neige tomber. « Enfin, ce n’est pas trop tôt, il devrait déjà y avoir de la neige en janvier ! Plus rien se déroule comme avant ! » Son sachet de noix terminé, il s’allonge un maximum pour se saisir d’un disque vinyle et le mettre en platine. Chaque dimanche il écoute un album inconnu et c’est un rituel qu’il ne manque jamais d’exécuter.

Makliste est totalement ignorant de la musique qu’il va découvrir, il ne sait même pas le nom de l’album ni de celui qui l’a produit. Encore les écouteurs et la tête de lecture à positionner sur le disque. Les premiers crépitements lui font un frisson, déjà il est excité de connaître une nouvelle mélodie. Et elle commence… Très doucement. Un mince filet de sons tissés sur un tintement argenté, une flûte si douce et ondulée, une lente saccade de perles tombées, des sons graves absolument indescriptibles le conduisent dans leurs sinusoïdes. Il est apaisé par cette harmonie grave et pure.

Il est détendu, même un peu trop… Il sent ses pieds s’engourdir en premier puis remontant le long de ses extrémités, une sensation d’immersion. Affalé sur son canapé en vachette, il ne peut plus maîtriser ses muscles qui se détendent de plus en plus et même ses yeux ne répondent plus. A l’intérieur de sa tête la musique s’affole et devient sournoise, aiguë, les tintements s’accélèrent et les graves se font telles que Makliste sent son cœur gonfler dans sa poitrine. La pression de son sang lui fait mal dans les veines et malgré tout, ses muscles sont si détendus qu’il ne peut bouger.

La musique si malicieuse fini par lui rentrer dans les oreilles et se glisser dans chacune de ses artères, dans la moindre veine. Il sent une montée d’énergie incroyable se dégager de ses pieds et remonter et tirailler son système nerveux jusqu’au sommet du crâne. Il la voit noire puis grise et blanche, la boule d’énergie lui envahi la tête et sa pression est hallucinante. Makliste se sent partir et sombrer dans l’inconscient. Noirceur profonde dans laquelle il glisse, il se sent comme si ses nerfs étaient nus, de l’air tiède lui caresse l’esprit. Sondant les ténèbres il comprend qu’il capte un courrant d’air précis. A contre-courant de celui-ci, cherchant sa source il détecte des vibrations étranges. Possédé de malaise il distincte à présent des hurlements rauques et étranglés, seul repaire avec le courant d’air de ce néant.

Une lueur rouge se profile diffuse et agitée en face de lui, le malaise grandit en son âme. Une énergie insoutenable émanant de cette lueur l’attirait incontestablement. Sans résistance mentale il se laisse aller à cette attraction. Mais plus il s’approche plus l’air est froid et agressif, ce froid teinté de rouge lui griffe l’esprit puis le fouette, Makliste ne maîtrise rien et il arrive. Il gît dans le sang. Tout se passe extrêmement vite. Ce qu’il voit en premier c’est son corps baignant dans son sang, il prend alors conscience de la globalité de la scène. Dans un rayon de lumière rougeâtre il voit des mains qui s’agitent sur sa poitrine, elles creusent sans son thorax avec rage, des mains maigres et effilées aux longs ongles acérés.

Elles fouillent et pétrissent les chairs pour les ramollir en bouillie et les arracher. Makliste voit des éclairs dans leurs mouvements, elles tiennent un instrument qui, malgré tout le sang, est étincelant. Choqué il observe la scène sans pouvoir agir, les mains frappent violemment sur les os et les cartilages, le bruit est insoutenable à son esprit. Elles plongent dans un dernier choc, dans les entrailles de son corps, elles cherchent et palpent leur prise, puis tirent nerfs et veines et les sectionnes. Il comprit qu’elles voulaient son cœur. Alors l’instrument tombe des mains et il le voit. Il voit aussi son cœur que les mains retirent au-dessus de son cadavre labouré et décharné. Elles ont son cœur, il est rouge comme une pierre de grenade, brillant comme un diamant, immaculé du carnage ainsi terminé.

***

« Khalil ?! Mirène ?! Où êtes-vous petites charrettes ! Il est huit heure, venez prendre votre petit déjeuner, j’ai préparé des crêpes et du pain grillé! Aller, descendez s’il vous plaît! » Aubade s’égosillait les poumons depuis la cuisine tous les matins même le dimanche… Elle adorait bousculer tout le monde pour le petit déjeuner. En général les convives s’attablaient toujours avec beaucoup de plaisir à la table qu’elle dressait. Elle était restée très classique dans son rôle de maîtresse de maison et remplaçante de modèle maternel. A vrai dire ce n’est plus vraiment pratiqué comme métier, les gens ont de moins en moins d’enfants et n’ont plus les moyens de se payer une remplaçante de modèle maternelle…

« Khalil ?! Mirène ?! Si vous ne descendez pas immédiatement je commence le petit déjeuner sans vous et n’oubliez pas que je mange beaucoup ! Alors venez, il y plein de bonnes choses ! » Elle se met à table et regarde les tranches de pains grillé fumer dans le rayon du soleil qui tombe tous les matins d’hiver dans sa cuisine les jours de beau temps. « Ces petits ont passé l’âge de traîner au lit le matin et s’ils ne mangent pas, ils ne vont pas rester longtemps intelligent… c’est vrai par les temps qui courent on a trop recours à la machine et l’on oublie que notre corps ne se nourrit pas essentiellement de matière technologique… Heureusement que dans cette maison l’on vit à l’ancienne… » Aubade tartine généreusement ses tranches chaudes de pain grillé et ses pensées divaguent à la vitesse du beurre qui fond et coule dans la mie … Elle se retrouve vite avec cinq tartines baignant dans leur jus et les doigts tous gras comme à chaque fois qu’elle pense trop longtemps lors du petit déjeuner.

« Eh ! Voilà je suis toute belle maintenant avec ma piscine de beurre… Même si j’adore, c’est un peu salissant… Ce n’est pas digne d’une maîtresse de maison… Mais mon plaisir avant tout. De toute façon le cholestérol n’existe plus et la vie est trop longue pour que l’on reste sage et modèle toute ce temps… Belles excuses Aubade, tu es donc si coupable de tremper tes doigts dans le beurre ? Et si ça me fait plaisir pourquoi je devrais avoir honte d’avoir les doigts tous gras et de manger des tartines plus que molles et dégoulinantes de beurre ! J’ai le droit ! Bien bêtes sont les pauvres gens et les chimères qui ne se font pas plaisir en trempant leurs doigts où ils veulent, qui ne prennent pas plaisir à patauger dans quelque élément naturel agréable à la peau et aux sens. J’adore pétrir la pâte à pain, mettre le premier pied dans le bain, mettre des chaussettes moelleuses, regarder l’eau bouillir et la machine à laver tourner. J’aime les bains de vraies fraises fraîches écrasées et les douches de lait de vraies vaches. J’aime me passer du miel sur la peau et le rincer à l’eau minérale. Mais Aubade tu as un temps pour tout et là il faut que tu bosses un peu. Je vais leur laisser la table et tout, comme ça il mangeront quand ils se lèveront. Mais je ne cuisinerai pas après s’ils mangent trop tard ! Bon 10h00 maxi ensuite je ne fais rien à midi. Je radote. Eh ! Même le dimanche il y a des choses à faire ! A l’ancienne !»

Elle mit de l’ordre ça et là après s’être longtemps lavée et essuyé les mains. Elle cherchait ses lunettes lorsqu’elle heurta du pied quelque – chose de métallique. Cet objet glissa loin sur le carrelage pour aller se loger sous un buffet. « Eh voilà encore ! Je n’ai pas que cela à faire, chercher de la ferraille dans les coins et me plier en quatre…» Elle se saisi du balais et tenta de récupérer cette chose. « Mais qu’est-ce que c’est que cela ! Je n’ai point de cuillères comme celles-là, quel éclat, elle est vraiment très belle. Mais d’où peut-elle bien provenir ? Ce sont les enfants qui l’on oubliée, peut-être l’avaient-ils trouvée lors d’une randonnée. Toujours entrain de fouiller je ne sais quoi ces deux là !»

mardi 6 novembre 2007 à 23:36

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