Métal de plus en plus rare

Connaissez-vous le germanium ?

France, 1987.

– C’est une excellente affaire, vous êtes absolument certain de faire un très beau bénéfice si vous avez la patience d’attendre quelques mois… Une occasion unique et il n’y a pratiquement pas de concurrents sur le marché.

Daniel Lecourtois, un gros propriétaire terrien, tord la bouche en réfléchissant. Il a devant lui, posé sur le guéridon, un morceau de métal , enveloppé dans du cellophane, qui ressemble assez à de l’aluminium. De l’autre côté du guéridon ponctuant chaque phrase d’un geste de son stylo, Julien Duruit, le conseiller que Lecourtois charge depuis quelques années de gérer son patrimoine.

Aujourd’hui Duruit vient proposer à Lecourtois un investissement qui sort de l’ordinaire : l’achat d’un métal rare, du germanium . Ce n’est pas un métal précieux mais un métal très cassant que certaines industries utilisent pour la fabrication des semi-conducteurs. On le cristallise jusqu’à un état de pureté extrême.

Pour l’instant ce lingot qui pèse quatre kilos est accompagné d’un certificat en bonne et due forme ( et en triple exemplaire ), et d’analyses indiquant le degré de pureté du métal et ses capacités de résistances. Ces certificats sont signés par les directeurs de la Pringle Extracting Corporation, une société d’extraction minière dont l’adresse est à Grey Swamp, en Floride.

Duruit continue son exposé, indique que la production mondiale du germanium est ridiculement faible : à peine soixante-quinze tonnes par an. Et le conseiller, ouvrant les pages intérieures de « Finances française », l’hebdomadaire spécialisé, montre à Lecourtois un petit pavé, intitulé : « La Cote des métaux précieux », une société française qui publie chaque mois la valeur du kilo de germanium , valeur qui semble monter régulièrement.

Aujourd’hui la valeur est de douze mille huit cent francs. Il y a même un numéro de téléphone que l’on peut appeler pour en savoir davantage. Bien évidemment, précise Duruit, Lecourtois devra conserver précieusement le lingot dans un coffre et ne jamais l’ôter de son emballage, ne jamais le heurter, ni le laisser tomber sous peine de voir sa valeur diminuer instantanément.

Le courtois opine du bonnet : tout cela va de soi. Il rédige au nom de Duruit un chèque, compte tenu de la commission du courtier, de cinquante neuf mille cent dix francs.

1991. Lecourtois se dit qu’il est sans doute temps de réaliser quelque profit avec ses placements et en particulier avec le germanium . D’autant plus que, depuis quelques mois, il n’a plus aucunes nouvelles de Duruit. Plus personne ne répond au téléphone et le le courrier revient avec la mention « Parti sans laisser d’adresse ».

De fil en aiguille, hélas, il fini par découvrir le pot aux roses : Duruit est derrière les barreaux dans une prison de province. Il avait une fâcheuse tendance à confondre ses fonds propres avec ceux de ses clients et, comme des placements hasardeux viennent de le mettre en situation périlleuse, il se retrouve, suite à la plainte de certains possesseurs de patrimoines, condamné à trois ans ferme.

Mais Lecourtois cherche à se rassurer. Son kilo de germanium doit bien coter dans les quinze mille francs, à présent… Il se retourne alors vers « Finances françaises » pour consulter la cote mensuelle du germanium et s’étonne de ne plus retrouver ce petit baromètre pourtant bien utile. A la rédaction du journal on lui fait savoir que l’hebdomadaire, trouvant cette insertion publicitaire peu catholique, en refuse la publication depuis au moins deux ans.

Lecourtois est désagréablement surprit d’apprendre qu’il s’agissait d’une publicité alors qu’il croyait à une cotation officielle. Ne sachant plus vers qui se tourner, Lecourtois finit par dénicher l’adresse d’un spécialiste des métaux rares et précieux qui lui annonce sans le moindre ménagement que le kilo de germanium avoisine les quatre mille sept cent cinquante francs. Et encore, lui précise-t-on, « Tout dépend du vendeur et de l’acheteur ».

Lecourtois, interloqué, demande des explications. Celles qu’on lui fourni le laisse tout blême avec des sueurs froides dans le dos. Il se rend compte qu’il vient d’être un pigeon de première classe. Ses investigations lui apprennent tout d’abord que la société qui a vendu le germanium à Duruit n’existe plus depuis belle lurette. D’ailleurs cette compagnie faisait non seulement le commerce des métaux rares mais fabriquait aussi des cuisinières à gaz pour la restauration. Bizarre mélange.

N’existe plus non plus la Pringle Extracting corporation. L’enquête diligentée suite à la plainte de Lecourtois démontrera que, sous ce nom respectable, se dissimulaient quelques aigrefins et un petit bureau en location précaire. Quand on téléphone, on tombe sur une mère de famille qui occupe les locaux depuis peu et a d’autre problème à résoudre que le commerce de germanium.

Pis encore : Lecourtois, tout au long se sa décevante poursuite de débouchés, buvant le calice jusqu’à la lie, découvre que le commerce de germanium est strictement réservée aux spécialistes et aux quelques rares industries utilisatrices. Aucune d’entre-elles, lui précise-t-on, ne se risquerait à acheter la moindre demi-livre du précieux métal à un particulier qui se le serait procuré Dieu sait où, l’aurait manipulé Dieu sait comment, vis-à-vis de qui l’on aurait aucun recours en cas de problème. La morale de cette histoire apparait bientôt : Lecourtois, s’il veut se débarrasser de ses quatre kilos de germanium, n’a plus qu’une solution : les jeter discrètement dans la benne à ordures municipales.

Texte original tiré du live : « Les génies de l’ arnaque » écrit par Pierre Bellemare en collaboration avec Jean – Marc Epinoux et Jean – François Nahmias.

L’ histoire vraie « Métal de plus en plus rare »

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mercredi 28 novembre 2007 à 09:51

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