Acheter une maison au paradis en 1963 – Article

La valeur du bonheur aveugle ou celle du paradis ?

Trois millions d’escudos pour un F 3

Maria Braga, son petit paquet devant elle bien comme ça, regarde autour d’elle d’un air impressionné. La soixantaine, son crucifix d’or incrusté de diamants contraste et
brille sur le noir de sa robe. Cette petite table ronde est bien décorée, parsemée d’étoiles dorées sur un napperont blanc, tout aussi rond. En fait tout est d’inspiration ronde dans cette pièce
rotonde et la lumière tamisée s’emblait diffusé de nulle part.

En face d’elle se tient Leonora. Une femme d’une trentaine d’années au regard bleu cendré indéfinissable … Ses longs cheveux noir retombent en cascade sur ses épaules,
soulignent les traits d’un visage inoubliable. Maria est émerveillée devant la beauté du décor, il est vrai que la pièce dégage une atmosphère particulière et ne laisse jamais personne
indifférent.

– L’esprit vous a parlé ?
– Oui ici même, hier soir. Il m’a décrit votre maison, c’est un rêve, un vrai palais !

Le visage de maria se fait requérrant et ses yeux brillent d’excitation.

– Il y a plus que trois pièces ?
– Non, trois pièces ma chère Maria, mais immenses. Chacune d’elle est une cathédrale. Et une vue !
– Ah ? Et c’est bien situé alors ?
– L’idéal ! C’est l’endroit le plus demandé. L’esprit lui-même n’en revenait pas. Ma chère, vous aurez l’une des plus belles maisons du paradis.

Leonora retira de son profond décolleté une clé en caoutchouc bleu et la tend d’un geste gracieux à Maria, qui reste bouche bée. Maria rêve déjà du décor paradisiaque dont
elle jouira dans sa future maison au paradis… Alors elle s’exclame :

– Cela donne envie de mourir !
– Rien ne presse ma chère Maria. Maintenant que vous savez ce que votre âme aura là-bas, vous ne pouvez que passer une vie heureuse sur cette terre.

Maria présente alors ce que son paquet contient à Leonora.

– Voilà trois millions d’escudos, pour chaque pièce de ma maison il y a un million. Voulez-vous vérifier ?
– L’esprit n’a pas besoin de vérifier. L’esprit sait tout… ah ! Une dernière chose : n’en parlez à personne sinon l’esprit se fâcherait et votre belle maison disparaîtrait.

Et d’un geste des deux mains, semblable à ceux que font les magiciens elle rajoute, devant Maria qui la regarde d’un air intimidé :

– Comme cela ! En fumée !
– Vous pensez bien que j’ai fais attention. Mon mari n’est au courrant de rien. J’ai vendu tous mes bijoux, sauf ma croix bien entendu. Je me suis dit que si on veut aller au paradis…

Leonora Da Silva conduit gentiment sa visiteuse vers la porte, trop discrète pour qu’on la voie dans cette pièce ronde et sans fenêtres.

– Vous avez bien fait ma chère… Réjouissiez-vous car maintenant vous faites partie des propriétaires du paradis !

Et ce jour là, un 16 janvier 1963, Leonora avait vendu une maisonnette de trois pièces au paradis pour un montant de trois millions d’escudos, montant équivalant le deux millions d’anciens francs français (avant l’euro). Un F3 au paradis !

La porte à peine refermée sur sa cliente, Leonora monte à l’étage s’enfermer dans sa chambre, pose sont paquet de billets sur la coiffeuse et se débarrasse de ses habits pour se servir un whisky et fumer une tranquillement cigarette. Elle se reprend les billets et commences à les compter quand quelqu’un frappe à la porte. Leonora répond agacée :

– Qu’est-ce que c’est ?
– C’est Antonia madame. Il faut que je vous parle.
– Je suis occupée, fichez moi la paix !
– C’est urgent madame et important, il faut que je vous parle du… enfin du paradis.

Leonora range vivement son argent dans un tiroir de la coiffeuse et ouvre la porte à sa bonne, Antonia Carvallo. Cette fille vient de déranger sa patronne et prend des airs effrontés, ainsi elle s’assied sans gène sur le lit.

– Il faut que je vous fasse un aveu, madame. Il m’arrive d’écouter aux portes. Tout à l’heure c’est ce que j’ai fait et j’ai tout entendu.

Leonora dédaigne cette jeunette de vingt cinq ans et lui souffle la fumée au visage.

– Bon vous écoutez aux portes. Et bien je vous renvoie, l’affaire est réglée. Je descendrai faire votre comte j’aurai terminé.
– Madame a tort. Madame fais semblant de ne pas avoir compris. Et si j’allais raconter tout ça aux policiers, hein ? Ou alors c’est trois cent milles escudos. Juste le dixième de ce que vous adonné l’autre folle
.

Antonia était furieuse mais Leonora encore plus, c’est pourquoi elle lui envoya un remarquable gifle. Alors Antonia se met a crier et s’enfuit en courant comme unefurie.

– Vous ne l’emporterez pas au paradis, Madame Da Silva !

***

– Bon vous me dites que Leonora Da Silva est un escroc… qui c’est ça Leonora Da Silva ?
– Mon ancienne patronne. Elle habite une luxueuse villa tout près d’ici, il faut que vous y alliez inspecteur.

L’inspecteur, Enrique Jabor a beaucoup de mal à comprendre la jeune fille, qui était très agitée. Il la regarde d’un air grimaçant tout en la questionnant. Elle laissait vraiment penser à une déséquilibrée.

– Et cette histoire du paradis, vous pouvez me la répéter ? Je n’ai pas très bien saisi.
– Et bien elle vend le paradis. Ce n’est pas une escroquerie ça ?
– Donc, vous venez portez plainte.
– Oui ! C’est cela, je porte plainte !
– Parfait. Que vous a fait madame Da Silva ?
– A moi, rien. Mais…

La prenant par le bras et l’attirant sans ménagements vers la porte de sortie il lui dit :

– Alors si elle ne vous a rien fait, vous ne pouvez pas porter plainte.
– Je reviendrai
!

Eleazar Braga est directeur de la banque de Rio – Banca do Rio. Il n’a pas vraiment l’habitude d’être dérangé dans son bureau, mais lorsque déboule cette jeune femme, il la
reçoit. Elle avait annoncé à la secrétaire le motif de sa visite improviste, et quel motif !

– J’étais la bonne de Leonora Da Silva.
– La voyante ? Qu’a t-elle encore demandé à ma femme ?
– Elle lui a tourné la tête comme aux autres. Lorsque je l’ai appris, j’ai essayé de m’y opposer, mais il était trop tard. Bref, Leonora lui a vendu pour trois millions d’escudos une maison de
trois pièces au paradis
.

Le banquier défaillant sur ses jambe, s’imaginait la somme et frise l’apoplexie et lorsqu’il reprend ses esprits :

– Et … avec quoi a-t-elle payé ?
– En vendant ses bijoux. Alors qu’allez vous faire ?
– Je vais porter plainte !

Un large sourire fend le visage d’Antonia la petite bonne. Ainsi son plan fonctionnait et le banquier portait plainte à sa place.

***

Leonora comparaît un 31 mars 1963 devant le tribunal correctionnel de rio de Janeiro. Accusé peu commun et personnage marquant d’une histoire vraiment insolite, elle devait être jugée pour le crime d’avoir vendu à des clients trop crédules, des maisons cossues au paradis. Dans le banc de l’accusation est assis Eleazar Braga, ayant porté plainte au nom de sa femme. La salle est comble et le publique impatient, Leonora se fait attendre. Quand enfin elle arrive, tout indique dans son attitude et son allure qu’elle ne se laissera pas faire. Elle marche fièrement la tête haute comme toutes les vedettes soucieuses de leur standing. Elle est grande et sculpturale, moulée dans sa robe noir, elle regarde l’assemblée d’un air défiant.

– Leonora Da Silva, vous êtes accusée d’avoir vendu à cinq personnes différentes de « maisons » au paradis, de deux à cinq pièces, pour un prix de deux à 5 millions
d’escudos. Qu’avez-vous à répondre ?
– Rien ! Il n’y a rien à répondre puisque c’est vrai.
– Donc vous reconnaissez d’avoir abusé de la confiance des gens ?
– Absolument pas. J’ai réellement vendu ces maisons.
– Mais elles n’existent pas.
– Si, l’esprit me les a décrites et j’ai pu en faire un tableau fidèle à chacun de mes clients.
– Cessez de vous moquer de ce tribunal !

Le président s’irritait de l’insolence de Leonora, celle-ci lui tenait tête !

– Vous m’avez l’air de bien connaître le paradis, monsieur le président. Vous y êtes allé sans doute… Et vous en êtes revenu ? * grand rire du public *
– Enfin ! On ne peut pas vendre de l’inconnu, de l’inexistant.
– Bien sur que si. Sinon, il faudrait condamner l’Eglise qui accepte des dons pour le repos des âmes.
– Ce n’est pas la même chose. * le président commence à perdre pied *
– Et pourquoi ?
– Parce que ce n’est pas pareil enfin ! Il est prouvé qu’avec cet argent cet argent, vous vous êtes acheté des bijoux et une villa de luxe.
– Et alors ? Les biens de ce monde ne peuvent aller qu’à l’intermédiaire avec le ciel. Que fait le prêtre avec l’argent des messes ? Il achète de quoi manger, de l’essence pour sa voiture, une paire de souliers neufs. Le principe est exactement le même.
– Et les clés de caoutchouc bleu ? Vous n’aller pas me dire que s’était sérieux ? Qu’elles ouvraient bien la porte de ces « maisons » ?
– Un symbole monsieur le président, un symbole. Dès que l’on rentre dans le domaine de la mystique et de la religion, tout devient symbolique !

Et ce fut le coup de grâce, l’argument fatidique. Il a été établi par la cours que Leonora n’était pas coupable d’escroquerie, puisqu’il avait été établi qu’elle n’avait pas trompé ses clients, même si l’objet des transactions était quelque peu particulier. Mme Braga et les autres « propriétaires des maisons au paradis » la félicitèrent à sa sortie du box des accusés.

Leonora Da Silva se retira comme la star qu’elle avait toujours été et se fera par la suite, très certainement volontairement, oublier.

Les passages en italique sont des extraits bruts du livre  » Les génies
de l’ arnaque
 » écrit par Pierre Bellemare en collaboration
avec Jean – Marc Epinoux et Jean – François Nahmias.

L’ histoire vraie  » Rue du Paradis « 

Cet article est lié à la discussions » Bizarre autant qu’étrange

dimanche 4 novembre 2007 à 22:52

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